Je rebondis ici sur un article de l’express, sur un cas de harcèlement atypique : quand c’est le salarié qui harcèle son manager.
J’ai à plusieurs reprises été témoin de situation de harcèlement. Il est vrai que dans la plupart des cas, le « fautif » décrié était le N+1.
Mais je retrouve dans l’article certains paramètres communs avec les situations que j’ai pu observer.
Ce qui m’interpelle dans ce cas.
L’article nous dit :
« Le salarié mis en cause avait pendant des années dévalorisé le travail de son supérieur hiérarchique et “diffusé une image d’incompétence dans son environnement professionnel et auprès des agents de son service”. Il refusait aussi très régulièrement de se soumettre aux directives et critiquait les instructions de son supérieur hiérarchique “en adoptant de manière répétée un comportement irrévérencieux et méprisant”.…».
Reprenons quelques éléments :
Le salarié avait …pendant des années dévalorisé le travail de son supérieur hiérarchique
Interpellant que cette situation puisse durer plusieurs années. En effet, amusez vous à dénigrer, voire insulter, directement ou indirectement votre hiérarchie, vous savez que vous courez le risque de vous faire sanctionner.
Les différents cas de licenciement pour dénigrement via Facebook en témoignent.
Comment une telle situation « in real life » peut perdurer plusieurs années ?
Il refusait aussi très régulièrement de se soumettre aux directives et critiquait les instructions de son supérieur hiérarchique “en adoptant de manière répétée un comportement irrévérencieux et méprisant”.
Refuser de se soumettre aux directives est une remise en question de l’autorité. Ceci aussi est sanctionable au sein d’une entreprise.
Si en plus, c’est fait de manière irrévérencieuse, méprisant et de façon répétée, cela aggrave encore la situation.
Il y a donc ici 3 éléments qui chacun auraient pu faire l’objet d’un recadrage, voire d’une sanction en fonction de la gravité ou de la nature de la faute constatée, pouvant aller jusqu’au renvoi du fautif.
Comment se fait-il que la situation dure plusieurs années ?
Pourquoi l’entreprise n’a pas réagit ?
Ce cas met en évidence plusieurs points communs à mes observations.
La difficulté à agir
Pauline travaille dans un grand groupe hôtelier.
Le rythme est dense, et sa nouvelle responsable est très ‘’speed’’. Elle a une tendance à dire les choses sans mettre les formes, et un niveau d’exigence très élevé. Elle ne laisse rien passer à Pauline.
Pauline fait des efforts pour satisfaire aux exigences de sa responsable. Mais celle-ci trouve toujours quelque chose à redire.
Pauline a le sentiment que ses efforts ne sont pas remarqués, et finit par se sentir la tête de turc.
Elle aimerait en parler avec sa responsable, mais a peur de ses réactions, ne sait pas comment l’aborder, ne se sent pas à la hauteur.
Elle décide de s’investir encore plus, mais sans plus de résultats. La situation finit par la stresser à un tel point qu’elle en fait une dépression et se met en arrêt maladie.
C’est pendant cet arrêt qu’elle prend contact avec la DRH pour lui exposer sa situation, en dénonçant le harcèlement qu’elle a subi.
Le cas de Pauline illustre la difficulté de passer à l’action de façon claire, à s’imposer dans cette situation.
En discutant avec elle, nous apprenons que 2 choses la gênent :
- Le changement de rythme
- La façon de parler de sa responsable, qu’elle trouve irrespectueuse à son égard.
La solution idéale aurait été de prendre franchement la discussion avec sa hiérarchique, et recaler la relation sur un mode de communication qui lui corresponde mieux. Mais devant la pression, elle s’en est sentie incapable. Elle a perdu ses moyens, a subi et souffert pendant plusieurs mois.
La suite de l’histoire, c’est que la DRH jouera les médiateurs entre la responsable et Pauline. Il en ressort que la hiérarchique n’avait pas mesuré l’impact de sa communication sur sa salariée. Le simple fait d’aborder la question l’a amenée à changer sa façon de faire (en partie seulement, car le naturel reste là). Mais pour Pauline, le mal était fait, la souffrance réelle, et impossible pour elle de continuer à travailler avec cette personne.
Le sentiment de harcèlement s’instaure au fil du temps, il est parfois difficile de l’identifier clairement, et d’agir en fonction. Du coup, quand on pose le diagnostic, il est parfois trop tard.
Le manque d’autorité/de cadre
Autre cas, autre contexte, même conséquences.
Cette entreprise de grande distribution a des valeurs humaines fortes, et une politique sociale poussée. Elle souhaite valoriser fortement ses salariés.
Et c’est vrai qu’elle leur offre des opportunités d’évolution, des possibilités de changer de poste, une forte transversalité entre les métiers.
L’ambiance est bonne, les managers ont d’ailleurs plus de facilité à féliciter qu’à recadrer.
Du coup, quand il y a des écarts de conduite, ils ont tendance à ne pas les traiter. D’une part, parce que ce n’est pas dans leur nature, d’autre part, parce qu’ils se disent que ce n’est que temporaire, que les choses vont se résorber.
Oui mais !!!
Dans la vraie vie, la dérive s’installe.
Ainsi, Paul qui travaille ici depuis 8 ans, a pris l’habitude quand il arrive, d’aller boire un café avec ses collègues. Il attend l’annonce d’ouverture du magasin pour aller rejoindre son poste. Il sait que normalement, il devrait avoir anticipé et être sur son stand à ce moment à pour accueillir les premiers clients, mais tout le monde fait pareil.
Cette dérive commence à agacer la direction.
Aussi, son manager commence à lui faire une remarque, puis une plaisanterie sur le sujet, puis une autre… bref, il essaye de lui faire comprendre, sans le heurter, ne voulant pas passer pour un tortionnaire.
Du coup, les remarques deviennent plus fréquentes, et comme Paul ne semble pas comprendre, son manager commence à s’agacer, à devenir sarcastique, à prendre Paul en grippe.
Paul souffre de ce changement de comportement qu’il ne comprend pas, il se sent harcelé par ce manager toujours sur son dos.
Lorsque j’ai discuté, bien longtemps après avec Paul de cette situation, il reconnaissait sa dérive, mais a souffert de la façon dont l’écart a été traité. Il aurait préféré qu’on lui dise clairement les choses, voire être reçu en entretien pour qu’on lui repose la règle, plutôt que ces pernicieux recadrages.
La difficulté de la hiérarchie à expliciter le cadre et à le faire respecter fût dans ce cas un facteur de harcèlement.
ou quand ce qui est humour ou affection pour l’un, peut être harcèlement pour l’autre.
Un manager appelait ses collaboratrices « Mes belettes »,
Un autre a eu ce mot d’affection « ma beurette », à la seule fille beur de l’équipe.
Dans ces 2 cas, la volonté du manager n’est pas de dévaloriser, de pointer du doigt, de nuire, mais plutôt de créer un climat convivial.
Oui mais voilà, derrière ces intentions, c’est l’histoire de la personne à qui s’adresse ces propos qui résonne.
Ainsi, Aïcha a vécu ce surnom comme discriminant, et la répétition de ce sobriquet a été mal vécue, ce qui peut se comprendre.
Penchons nous sur le cas de Valérie, la manager fautive.
Valérie a grandit dans un milieu multi culturel, a beaucoup voyagé, notamment en Afrique du nord. Elle apprécié énormément cette culture. D’ailleurs, son mari est marocain.
Elle apprécie particulièrement Aïcha, d’où ce surnom.
Mais elle n’a pas imaginé un instant l’impact que cela pouvait avoir sur Aïcha. En effet, celle ci avait auparavant subie des cas de discrimination, notamment à l’embauche, et plus tôt dans son enfance. Ce surnom faisait ressurgir les difficultés vécues.
Ce qui est humour pour l’un peut devenir discrimination pour l’autre, en fonction du cadre de référence.
La notion de harcèlement ne dépend pas que des actes du harceleur, mais aussi de l’impact de ces actes sur la victime.
La question du harcèlement est une question grave, complexe, qui est facteur de souffrance et qui, comme dans le cas de l’article, peut pousser aux extrêmes.
Si vous avez d’autres exemples, d’autres expériences, les commentaires vous sont ouverts.
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